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🍄 L'Origine des Religions est-elle Psychédélique ? 🍄 (Article)

Dernière mise à jour : 15 août

Je tiens à partager avec vous mon premier article pour le premier numéro de la revue Métamorphoses, qui m'accorde désormais une tribune mensuelle. Ma contribution au second numero sera "Les limites des thérapies sans spiritualité", puis "L'attachement traumatique" et "La psychomagie de Jodorowsky", respectivement pour les n°3 et et 4.




Les pratiques libératrices ont de tout temps été considérées comme dangereuses. Certains enseignements secrets sont donc logiquement devenus interdits, car émancipatoires, au point de se libérer de l’illusion de la réalité et d’atteindre des niveaux de conscience originels. Ainsi en est-il des pratiques de consommation de plantes sacrées – psychédéliques ou enthéogènes – associées à la méditation, qui existent depuis des millénaires à la base de toutes les traditions spirituelles.


Puis l’Eternel Dieu commanda à l’homme, en disant :

« Tu mangeras librement de tout arbre du jardin ». Genèse 2:16


Dans la référence biblique sans doute la plus connue de l’histoire, l’épisode du fruit défendu, l’identification à l’ego est transcendée au profit de l’accès à un autre royaume, une autre dimension, et nous donne accès à ce qui pourrait être compris comme une entité plus grande faisant l’expérience d’elle-même à travers des formes de vies fragmentaires. Nous parlons d’« éveil ». Il y a alors compréhension que notre réalité illusoire procède d’un consensus culturellement renforcé, maintenu en place par des institutions dont la survie dépend de l’adhésion générale à ce consensus. L’expérience psychédélique, pratiquée depuis toujours, issue notamment de l’ingestion de plantes enthéogènes destinées à explorer la réalité sous un angle différent – les animaux eux-mêmes consomment des substances menant à un état modifié de conscience – permet de sortir de cette illusion, appelée Maya, dans le bouddhisme. Elle contribue à dissoudre ce qui fait de nous des individus limités, l’ego, et a pour effet de favoriser un changement de perception en passant de la conscience individuelle à la conscience universelle décrite par de nombreux mystiques à travers les âges. Les enthéogènes désignent communément des plantes sacrées (parfois des substances animales), dont l’usage est attaché à une tradition spirituelle et procurent, quand ils sont consommés à dessein, l’expérience transcendante dont il est fait mention dans toutes les traditions spirituelles. Ce mot provient des racines grecques en (dedans) theo (divin) et gen (crée), et signifie littéralement « générer le divin à l’intérieur ». Sont notamment ainsi désignés sous ce terme le peyotl, l’iboga, l’ayahuasca ou encore les champignons à psilocybine. Le terme psychédélique, quant à lui, englobe plus largement les « drogues » ou composés synthétiques, agissant sur le circuit sérotoninergique (LSD, Bufoténine, 2CB, DMT, etc.).


Entre renaissance psychédélique et censure morale


Actuellement, nous assistons à un engouement progressif pour la réintégration de ces derniers dans la société. Après la vague de prohibition planétaire, menée par les États-Unis dans les années 70, un nouveau mouvement émerge, porté par des hommes et des femmes déclarant leur souveraineté, leur liberté d’ingérer ce qu’ils souhaitent, et leur droit inaliénable d’explorer leur conscience avec ces outils de la nature. C’est ce que nous appelons la « renaissance psychédélique » qui a lieu depuis près d’une quinzaine d’années. Si notre société et notre culture valident les nourritures pour le corps, les nourritures de l’esprit, quant à elles, sont a priori proscrites. Les psychotropes autorisés comme le café, l’alcool, le thé ou le sucre, dont la consommation est même parfois encouragée, ont pour effet de réduire le champ de notre conscience et non de l’élargir. Les psychédéliques sont si bien méprisés qu’on les réduit volontiers sous l’appellation de « drogues » – une catégorisation outrageusement large, péjorative et imprécise, dans laquelle nous plaçons toute substance que nous déclarons altérer la conscience (dans le sens de « dégrader », et non seulement de « dénaturer »), sans aucun égard, ni considération, pour celles qui l’élargissent, l’aiguisent, l’approfondissent à l’instar des plantes enthéogènes et des substances psychédéliques catalysatrices et ambassadrices d’une reconnexion, profonde et expérientielle, à la nature. Cette censure morale et spirituelle qui ressurgit régulièrement au cours des deux derniers millénaires — propre à toute société de contrôle – est à mettre en relief avec les dizaines de milliers d’années de chamanisme, de mysticisme et d’expérience directe du « divin », permis par les enthéogènes, dont l’origine de la consommation est peut-être antérieure à la bipédie.


Expérience profonde aux sources du chamanisme


Il me semble fondamental de préciser qu’on entend ici le chamanisme dans sa dimension originelle, indissociable de l’ingestion de nourritures « sacrées » ou « magiques », enthéogènes. Il est à distinguer du néo-chamanisme actuel adossé au mouvement New Age, qui s’en affranchit parfois fièrement en tentant de reproduire des états de conscience modifiés avec des techniques ou une posture supposément inspirée du chamanisme traditionnel, auquel les enthéogènes sont pourtant non seulement centraux, mais fondateurs. Dans les traditions chamaniques les potentiels thérapeutiques et spirituels sont deux aspects considérés comme indissociables, contrairement à l’approche propre à notre société capitaliste, qui s’ouvre progressivement aux médecines psychédéliques sur fond de considérations rentabilistes et scientifiques. Or il n’est pas rare qu’une « guérison » survienne précisément grâce à une expérience d’éveil spirituel à la suite de la traversée d’un moment décrit comme difficile, voire effrayant ou horrible, dans laquelle l’expérimentateur peut traverser toutes les émotions négatives éventuellement refoulées tout au long de son existence. Les enthéogènes, et par extension les psychédéliques, offrent le potentiel de favoriser l’émergence de royaumes spirituels, inhérents à la nature humaine, et étroitement liés au chamanisme originel. Y accéder implique la traversée des émotions qui nous entravent, à laquelle l’expérience psychédélique profonde nous convoque souvent.


2000 ans d’initiation psychédélique de masse


Pendant plusieurs millénaires, de nombreuses institutions facilitant l’accès à ces expériences directes ont parsemé l’Europe et l’Asie. Ce fut notamment le cas des « cultes à mystères » indo-européens, parmi lesquels ceux de la Grèce antique furent les plus célèbres. Les Cités-États qui constituaient la Grèce rivalisaient chacune de leur culte à mystères, dont le plus célèbre était situé à Éleusis. Les mystères d’Éleusis consistaient en une initiation d’une efficacité inégalable, qui avait pour objet l’absorption d’une boisson à base notamment d’ergot de seigle à partir duquel est synthétisé ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « LSD ». Sa présence lors des cultes, entre autres plantes psychotropes, est attestée par des disciplines comme l’archéochimie et l’archéobotanique. De nombreuses spéculations concernent l’utilisation d’autres substances, comme ce fut le cas à travers le monde antique avec les champignons à psilocybine. Le mot mystère vient du grec muo, qui signifie littéralement « fermer les yeux ». Sous peine de mort, il était expressément interdit de révéler ce qu’on vivait lors des mystères d’Eleusis. Ils ont été, pendant plus de vingt siècles, une manière rituelle d’assurer les



Photo: Julie M. Brown - Temptation in the Garden of Eden, Chapel of Plaincourault, France, circa 1291

 


chances de vivre l’éveil spirituel, en « mourant avant la mort ». Le culte attirait les esprits les plus brillants de l’époque. Des personnalités comme Socrate, Platon, Sophocle, Aristote, Épicure, Plutarque et Cicéron y ont été initiées, entre autres nombreux philosophes et empereurs romains. Ces initiations psychédéliques de masse ont été interdites à la fin du IVe siècle par l’empereur romain Théodose 1er qui tentait de faire d’une certaine vision du christianisme — alors privé de ses sacrements enthéogènes constitutifs — la religion officielle.


L’essence de la foi chrétienne ?


Selon Brian Muraresku, auteur du New-York Times Best Seller The Immortality Key, il y a de nombreuses raisons de penser que ces trois siècles de paléo-christianisme psychédélique sont l’essence même de la foi qui rassemble aujourd’hui deux milliards de chrétiens. Avant d’être chrétienne, l’eucharistie originelle était consommée dans le cadre d’un repas important, un banquet païen d’inspiration grecque appelé agapè, qui était « souvent marquée par une consommation excessive de boisson conviviale », qui n’avait rien des effets de l’alcool présent dans le vin d’aujourd’hui. À titre d’exemples liminaires : Dio

scoride, un médecin contemporain de Jésus, est l’auteur d’un ouvrage répertoriant 56 recettes de vin, dont la quasi-totalité contiennent des plantes enthéogènes. Saint Ignace d’Antioche, évêque du Ier siècle, parle de l’Eucharistie comme la « drogue de l’immortalité » (pharmakon athanasias) - un « antidote » ET un « poison » à la mort, capable de générer la vie éternelle. Dans la Bible, l’apôtre Paul se plaint que le repas commun dans l’église ressemble davantage à une agape où certains semblent abuser du sacrement. Il se livre alors à une injonction spirituelle, et non festive, des sacrements manifestement psychédéliques : « Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la coupe. Car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même. C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de malades, et qu’un grand nombre sont morts. » (Corinthiens 11:28-30) Apparemment, il y a deux mille ans, « un nombre considérable » de Corinthiens mouraient ou tombaient malades pendant l’eucharistie chrétienne. Nous sommes loin de la gaufrette au goût de carton et du vin de messe.


Des prophéties sous l’effet de plantes


Benny Shanon, professeur émérite de psychologie à l’université hébraïque présente, en 2008, une hypothèse selon laquelle l’ancienne religion israélite était associée à l’utilisation d’enthéogènes. Basées sur une nouvelle lecture des textes de l’Ancien Testament relatifs à la vie de Moïse, sa théorie s’appuie sur la présence dans les zones arides de la péninsule du Sinaï et du sud d’Israël, de deux plantes contenant les mêmes molécules psychoactives que l’ayahuasca : la plante Peganum harmala (aussi appelé Rue de Syrie, harmal, ou esphand en arabe), et de plusieurs variétés de mimosacées, dont certains acacias riches en DMT. Ce qui permet d’éclairer les raisons des mentions étonnamment abondantes de cet arbre dans la Bible et les traditions égyptiennes. De ce dernier ont été faits le tabernacle et l’arche dans lesquels étaient gardées les Tables de la Loi. Le professeur déclare, par ailleurs, avoir été frappé par la similitude entre les expériences et visions qu’il a eues au cours de centaines de cérémonies d’ayahuasca et celles rapportées dans les textes bibliques, où le serpent, symbolique de cette expérience, est mentionné, métaphoriquement ou non, plus de 120 fois sous divers noms. L’une des principales conclusions de sa recherche est que, en effet, les visions de l’ayahuasca présentent des points communs interpersonnels significatifs qui transcendent les variations socioculturelles.


Moïse sous psychédéliques ?


Les récentes études scientifiques du Dr Rick Strassman, rapportés dans son livre « DMT & the Soul Prophecy » portent sur les troublantes similarités entre la phénoménologie des expériences prophétiques et des expériences de la DMT. Deux expériences, largement documentées et étudiées, dont les critères phénoménologiques se chevauchent à plus de 90 %.



Photo: Julie M. Brown - Christ’s Entry into Jerusalem, Church of Saint Martin de Vicq, France - Fresco on south choir wall, early 12th century

Pour Shanon, les épisodes clés de la vie de Moïse présentent des caractéristiques qui sont des symptômes importants de l’expérience de l’ayahuasca. Ces épisodes incluent la première rencontre de Moïse avec ce qu’il considère comme Dieu, lors de sa théophanie au mont Sinaï, traditionnellement considérée comme l’événement le plus important de toute l’histoire juive. Plusieurs travaux de recherche ultérieurs appuient encore davantage l’hypothèse enthéogénique actuelle. Des suggestions similaires ont également été faites concernant l’islam. En étudiant le folklore arabe et bédouin dans le sud de la Jordanie, l’enquêteur indépendant Rami Sadji a émis l’hypothèse que l’islam et la religion arabe préislamique reposent également sur l’utilisation d’enthéogènes. Plusieurs sources relatent l’utilisation du roseau Arundo donnax, comme enthéogène en combinaison avec le buisson Peganum harmala. C’est dans ce roseau psychédélique, dans lequel des quantités non négligeables de DMT et de bufoténine sont présentes, que les Égyptiens enveloppaient leurs morts.


Le mystère du Soma


Le « Rig-Véda », au centre de la religion védique, a été rédigé entre 1500 et 900 avant notre ère. Cette collection d’hymnes sacrés, comprenant 1 028 ensembles de vers organisés en 10 recueils, implique la pratique de rites complexes qui intègrent paroles et gestes « magiques ». Veda signifie simultanément « connaissance intuitive des puissances agissantes lumineuses qui régissent l’existence de la société des aryas », et « pratique des méthodes aptes à les influencer ». Si l’Iliade et l’Odyssée sont les textes mères de la civilisation occidentale, le Rig-Véda en est la grandmère. Et là, nous trouvons la « potion » originale, une boisson sacramentelle appelée « soma ». Dans le Rig-Véda, le soma est à la fois une plante et le dieu résidant dans la plante. Avec une ampleur similaire, il en était de même en Perse, cinq siècles plus tôt avec le Zoroastrisme, et son livre sacré — l’Avesta — dans lequel nous découvrons l’ingestion d’un breuvage appelé Haoma, qui transmet des enseignements à celui qui le boit. Une succession de détails fera sourire les buveurs expérimentés d’ayahuasca. Dans son livre « The Hindus : An Alternative History », l’indologue Wendy Doniger souligne que les premiers Indiens védiques vivaient dans les montagnes où poussaient beaucoup de champignons enthéogènes. Cependant, lorsque leur société a migré vers les plaines du Gange, le soma psychédélique a disparu et ne sont restés que les kriyas, un ensemble spécifique de pratiques respiratoires et énergétiques inspirées des états transcendants induits par la consommation de champignons psychédéliques, copieusement représentés dans les temples et sculptures de l’époque. Plusieurs auteurs avancent que ces exercices sont à l’origine du yoga, tel qu’il est mentionné dans cet ouvrage fondateur que sont « Les sutras de Patanjali », où l’éveil par la consommation des plantes y tient la même place que la méditation, les chants ou le yoga.


Se reconnecter à la conscience universelle


De tout temps, les hommes ont tenté de rapporter le contenu d’expériences spirituelles sous formes de mots, de les institutionnaliser et de les organiser. Du chamanisme sont nés les cultes à Mystères, détruits par les religions du livre, elles-mêmes librement inspirées de ces derniers, obstruant l’accès à l’expérimentation directe et imposant une intermédiation cléricale dépositaire exclusive de l’interprétation dogmatique de l’expérience enthéogène de quelques prophètes. À l’image d’un cœur qui se contracte et se dilate, l’humanité arrive en fin de contraction, avec le recul du dogme religieux qui est un des plus grands obstacles à l’éveil. Le remède serait là, juste sous nos yeux. Il prend la forme de quelques molécules, qui, employées avec la bonne intention et le bon cadre, nous ouvrent les yeux sur le mur qui approche en nous connectant avec l’intelligence du vivant, et avec ce que de nombreuses traditions décrivent comme une conscience universelle. Il s’agit, ici et maintenant, d’injecter de l’esprit dans la matière, de l’humilité dans le dogme, de la conscience dans l’ignorance, de l’amour dans la peur. Il s’agit de nous préparer à la rencontre avec une entité que notre niveau de conscience actuel ne peut pas concevoir. Et qui nous attend avec un amour infini.


Stephan Schillinger


 



 

[1] Voyage aux Confins de l’Esprit, Netflix – Have a good trip, Netflix – DMT la molécule de l’esprit, Youtube – D’autres mondes, de Jan Kounen.

[2]“Drug harms in the UK: a multi-criteria decision analysis”, by David Nutt, Leslie King and Lawrence Phillips, on behalf of the Independent Scientific Committee on Drugs. The Lancet.

[3]. Paracelse (1493-1541) était est un médecin, philosophe, alchimiste, théologien laïc suisse. Sa pensée est le point de départ du long processus de séparation de la chimie de l’alchimie.




 

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