💫 Les Constellations par Stephan Schillinger 💫
- Curieux Hasard
- 7 avr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 juil.
La Constellation, un théâtre vivant...
Nous sommes tissés d’histoires qui ne commencent pas avec nous. Chacun hérite d’un passé qu’il n’a pas écrit, un champ d’influences invisibles qui jalonnent sa biographie. La plupart du temps, nous avançons sans percevoir ces dynamiques qui nous relient à notre passé, à des événements traumatiques qui nous constituent, et finissent par nous diriger.
La constellation telle que je la propose est une tentative de mettre en mouvement et en espace ces dynamiques, de les rendre visibles et accessibles à la conscience. Elle n'est ni une thérapie, ni un dogme, ni une méthode rigide de réparation, mais un espace d’exploration où s’explorent et s’expriment les dynamiques relationnelles qui nous animent, et où le facilitateur aura à coeur de s'interdire toute position ascendante ou de "sachant". Lors de ces constellations, aucune vérité n'est censée se substituer à celle des participants. La constellation n'est pas de la voyance.

Inventée dans les années 1990, la constellation familiale a d’abord été pensée comme un outil de rétablissement de « l’ordre » du système familial. Mais ce cadre est souvent critiqué pour son caractère rigide et patriarcal, voire dogmatique. Avec le temps, de nouvelles approches plus ouvertes ont émergé, notamment grâce à des figures comme Alejandro Jodorowsky, qui en ont fait un « théâtre de l’âme ». Pour Jodorowsky, créateur de la métagénéalogie, cette dynamique qui s’anime sous nos yeux en constellation serait l’expression d’une mémoire familiale profonde – une sorte d’inconscient, personnel, collectif, ou transgénérationnel, qui cherche à se manifester, à se libérer et à être vécu, traversé.
Aujourd’hui, grâce à des praticiens incontournables comme Eric Laudière, ces nouvelles constellations ne se perçoivent plus comme une quête "d’ordre", mais davantage comme un art, un laboratoire d’intelligence collective où chaque participant — constellé, représentant ou témoin —, entre en consentement dans un jeu délibérément symbolique. Un troisième courant, plus subtil plus profond, et plus « consciencieux », qui place dans le champ de la conscience les évolutions de notre société : les avancées sur le psycho-trauma, la déconstruction du patriarcat, le rapport à la différence, au consentement, etc.
Une exploration artistique et poétique, potentiellement transformatrice
Au cœur de la constellation familiale, réside un principe simple mais puissant :
« Jouer comme des enfants, c’est-à-dire pour de vrai » — Eric Laudière.
Ce jeu sérieux devient une clé de transformation. Dans une constellation, les participants prennent place dans l’espace et incarnent, sans effort ni exagération, des figures — symboles, concepts, archétypes — de l’histoire du constellé. Le constelleur, qui peut être vu comme un facilitateur d’intelligence collective, s’abstiendra de savoir ou d'interpréter, pour laisser la place à l’exploration commune. Tout au plus, il maniera subtilement la voile du bateau pour lui faire prendre un vent favorable à la sécurité et à la confiance collectives.
Pour peu que l’on considère que le corps détient et véhicule des informations habituellement non traitées par l’ego, ce qui se déroule en constellation ne relèverait ni du hasard ni de la mise en scène. En véritable creuset des émotions, le corps en mouvement dans l’espace, en relation avec les autres — et de problématiques dont l’étendue dépasse souvent le constellé par sa dimension archétypale ou universelle — capte et exprime des informations. Il s’agirait de basculer d’une manière interprétative d’être au monde vers une dimension purement perceptive.
Cette proposition de mise en corps et en espace de notre histoire ou de nos dynamiques relationnelles permet d’accéder à une compréhension qui échappe habituellement aux mots, à l’analyse, au mental. L’espace devient alors un miroir, un théâtre, où se rejouent des dynamiques invisibles : une distance, une posture, un regard, une attirance, un lapsus, sont quelques exemples parmi une infinité de subtilités permettant d’explorer collectivement les ressentis de la personne constellée.

Bien plus qu’une discussion sur la famille ou qu’une tentative de thérapie de groupe, la constellation propose une mise en scène où le temps et l’espace se croisent. En cela, elle rappelle les rituels anciens, où l’on invoquait des archétypes ou des symboles pour se réconcilier avec le passé, où l’on se réunissait avec une même intention. Mais ici, pas de croyances figées, seulement une mise en forme qui propose de rendre l’inconscient un peu plus conscient, dans un esprit collectif d’exploration, de soutien, de tolérance, d’accueil, d’écoute.
Loin d’être une reconstitution figée du passé, la constellation est une exploration artistique vivante, poétique, un espace où ce qui était bloqué peut se remettre en mouvement. L’essentiel ne réside pas dans la véracité possible des événements ou information qui émergent en constellation — car ce n'est pas son objectif —, mais dans la mise en mouvement de nos narrations intérieures, potentiellement limitantes ou rigides, indépendamment de leur vérifiabilité.
Les constellations n’ont rien de la voyance, elles ne prétendent pas prédire l’avenir ni révéler des vérités absolues. Ce qui importe, ce n’est pas si une représentation ou une information qui survient est "vraie", mais l’effet qu’elle produit sur la personne : ce qu’elle fait émerger, ce qu’elle éclaire, ce qu’elle met en mouvement, et qui aurait tellement besoin d’être ressenti. La constellation est un outil artistique et poétique de prise de conscience et d’exploration collective, et ne peut en aucun cas se substituer à la réalité, ou à la vérité de chacun, ni les contredire.
Le rituel comme exploration symbolique, et laïque
Le rituel est une mise en forme symbolique d’un passage, un acte codifié qui relie l’individuel au collectif, le visible à l’invisible, le présent à une mémoire transpersonnelle, archétypale. Il est ce cadre sécurisant dans lequel l’inconscient peut s’exprimer, et où le sens peut émerger sans être imposé. Loin d’être une simple répétition de gestes figés, le rituel nous relie à une dimension où le langage du corps, de l’émotion et du symbole prend le pas sur celui du mental. En ce sens, une constellation peut revêtir une dimension rituelle laïque : elle ne se contente pas de représenter une histoire, elle la traverse, la rejoue, la transforme. Elle propose une nouvelle manière d’habiter le temps, en réconciliant le passé et le présent dans un espace vivant de résonances et de présence. A une époque où les rites de passages et la dimension initiatique se désacralisent, les constellations permettent de se ressaisir collectivement de rites laïcs, non dénués de sacré ou de spiritualité.
Les représentants
Contrairement à une démarche individuelle, où l’on reste centré sur soi, la constellation comprend plusieurs participants, et propose de vivre cette dimension collective inhérente à notre histoire. Il est une croyance répandue qui repose sur l’idée qu’il faudrait absolument être le constellé principal pour espérer une « guérison » ou transformation.
Ceux qui incarnent les rôles de la famille du constellé (les représentants), qu’il ou elle aura soigneusement choisi, ne sont pas de simples figurants. Ils sont inévitablement intriqués avec leur propre histoire, en résonnance « ce qui se joue », ne serait-ce que par la dimension transculturelle et universelles de certains sujets : paternité, maternité, enfance, deuil, rupture, tristesse, joie, colère, abandon, rejet, trahison, etc.
En tant que représentant, ce que nous ressentons, ce qui nous traverse, peut faire écho à nos propres expériences et notre propre biographie. Ainsi, il n’est pas rare qu’un représentant découvre ou explore une facette insoupçonnée de sa propre histoire, voire traverse d’intenses émotions, ce qui fait de la posture du représentant une posture paradoxale : il est de fait à la fois impliqué et détaché. Ce relâchement de l’attention, ce décalage, offre une disponibilité à être touché émotionnellement, ouvre des espaces de compréhension souvent inaccessibles autrement.
Quelques grands principes éthiques
La popularisation croissante des constellations familiales, bien que positive pour leur visibilité, n'est pas sans risques. Faute d'un encadrement théorique solide et d'une recherche approfondie, cette pratique dont les racines plongent dans les premières quêtes de transcendance de l’humanité et de nos rituels originels, se trouve parfois confrontée à des dérives, des interprétations hâtives et des expériences hasardeuses. C’est pourquoi il apparaît indispensable de poser quelques grands principes éthiques incontournables.
Ainsi, en premier lieu, le consentement éclairé et la pleine responsabilité des participants doivent rester centraux, garantissant une participation libre et consciente. La confidentialité, comme second principe, est essentielle pour instaurer la confiance et préserver la dignité de chacun. De même, privilégier l'écoute du corps plutôt que de s'égarer dans les méandres d'interprétations mentales permet de rester au cœur de l'expérience vécue. Par ailleurs, respecter les croyances individuelles et maintenir un cadre strictement laïque assure l'inclusion et évite tout dogmatisme ou sectarisme. Enfin, un principe majeur s'impose : aucune changement sain et positif ne peut se produire sans sécurité. La plupart des traumatismes naissant d'une déconnexion, d'une solitude vécue ou ressentie ; la constellation, en recréant du lien et de la connexion authentique au sein du groupe, se veut un espace sécurisant propice à l'exploration.
Ces fondements éthiques (non exhaustifs) posent les bases nécessaires pour que les constellations familiales continuent à se développer harmonieusement, en offrant à chacun une voie vers la souveraineté individuelle, la réconciliation et la reconnexion avec soi-même et son histoire.
Un Processus non dogmatique,
Une expérience à vivre plus qu’à comprendre
Contrairement aux premières approches des constellations, qui cherchaient souvent à rétablir un ordre "juste" dans les systèmes familiaux, les pratiques contemporaines reconnaissent que l’enjeu n’est pas d’imposer une structure, mais d’ouvrir des possibles. Il ne s’agit pas de valider une seule version du passé, mais de permettre à chacun de retrouver un rapport plus fluide, plus apaisé, à son histoire. En cela, la constellation n’explique rien, elle propose ; elle ne cherche pas une vérité absolue, mais met en lumière une dynamique intérieure, subjective, opérante. Elle propose d’explorer les déterminants fondateurs ou constitutifs qui jalonnent notre histoire — notamment au moment où nous sommes plus perméables, l’enfance — tout invitant à vivre le lien à l’âme, au transcendant, ou toute dimension qui nous dépasse.
Elle n’est ni une thérapie, ni une méthode miracle, ni une solution magique, mais un espace d’expérimentation, artistique et poétique où chacun peut ressentir, dans son corps et dans son imaginaire, les fils invisibles qui tissent son histoire, ou les émotions refoulées. Et en les explorant par le biais de la constellation, il devient possible de les conscientiser, y réintroduire du mouvement, de l’espace, du sens, du lien.
— Stephan Schillinger
(Illustrations : Brian Kershishnik)

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